Le fonds de commerce électronique : une reconnaissance effective - Avity - Cabinet d'avocats
À l’heure où l’ère du numérique est omniprésente dans notre société, le commerce électronique ne cesse de se développer et connait une véritable croissance de chiffre d’affaires.

En 2008, le commerce en ligne a franchi la ligne des 20 milliards de chiffre d’affaires.

L’article 14 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique définit le commerce numérique comme « l’activité économique par laquelle une personne propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services. ».

Cependant, en dépit du développement des activités commerciales en ligne, la reconnaissance d’un fonds de commerce électronique n’a pas fait l’unanimité dans la sphère juridique.

En effet, la jurisprudence a longtemps été attachée à la définition traditionnelle du fonds de commerce (Com., 14 mars 2006, n°03-14.639.)

Or, d’innombrables entreprises utilisent, exclusivement ou à titre complémentaire de leur établissement physique, un site de e-commerce pour l’exploitation de leur activité.

Cette nouvelle technique de commercialisation interroge sur la transposition du régime juridique du fonds de commerce à l’univers électronique.

L’objectif d’un site internet est alors de répondre simultanément à l’évolution technologique et aux nouveaux besoins des consommateurs via la vente de produits en ligne.

L’ensemble des moyens employés par l’exploitant du site pour rentabiliser son activité lui permet de constituer un véritable fonds de commerce.

Il convient d’envisager les éléments constitutifs d’un fonds de e-commerce avant d’aborder le régime protecteur qui lui est applicable.

 

I. LA QUALIFICATION D’UN SITE INTERNET DE E-COMMERCE


Au premier abord, l’activité marchande dans l’espace électronique a peu en commun avec un fonds de commerce physique. Alors que le commerce « traditionnel » s’exerce principalement dans un espace restreint à un ou plusieurs points géographiques, le commerce numérique a vocation à dépasser ces frontières.

Pour autant, à l’instar d’un commerçant traditionnel, un cybercommerçant dispose d’un site de vente en ligne qui contient la majorité des caractéristiques d’un fonds de commerce classique.

Celui-ci comprend une universalité de biens corporels, notamment des marchandises et du matériel, et incorporels, tels que, le nom commercial, l’enseigne ainsi qu’une clientèle.

Il apparaît néanmoins que la composition du fonds de commerce électronique présente des spécificités par rapport à un fonds commercial physique.

 

A) Les éléments généraux constitutifs d’un fonds de commerce

 

Alors que la souscription d’un bail commercial est une simple faculté pour l’exploitant d’un site numérique, la composition d’une véritable clientèle constitue l’élément essentiel, sans laquelle le fonds de commerce ne saurait exister.

 
1- Le droit au bail

Une interrogation demeure quant à l’assimilation du contrat d’hébergement du site internet au contrat de bail commercial.

Aux termes de l’article L145-1 du Code de commerce, le statut des baux commerciaux s’applique aux immeubles et locaux dans lesquels un fonds est exploité.

Dès lors, il pouvait être admis qu’un fonds de commerce électronique était localisé sur l’espace-disque du fournisseur d’hébergement, permettant ainsi une analogie avec un local commercial classique.

Cependant, la jurisprudence considère que seul un espace clos et couvert, susceptible de recevoir des clients peut bénéficier du statut protecteur des baux commerciaux (civ. 3ème, 23 juin 2016, n°14-26.003.)

Or, il est manifeste qu’un site marchand ne dispose pas d’un lieu physique permettant d’accueillir les clients.

Dans le même sens, un certain nombre de situations envisagées par le statut des baux commerciaux semblent inappropriées vis-à-vis du contrat d’hébergement.

À titre d’exemple, les prestataires offrant l’hébergement d’un site internet sont nombreux sur le marché, ce qui signifie que la rupture éventuelle du contrat d’hébergement avec l’un de ces derniers n’empêchera pas l’exploitant du site de conclure rapidement un nouveau contrat avec un autre prestataire, sans subir de perte de clientèle.

De ce fait, l’article L145-14 du Code du commerce, prévoyant l’octroi d’une indemnité en cas de refus de renouvellement du bail au profit du locataire évincé, s’avère inadapté au contrat d’hébergement.

Il faut donc admettre que le contrat d’hébergement d’un site internet ne peut être assimilé à un local commercial, excluant ainsi l’application du régime des baux commerciaux.

Cela étant, bien qu’il ne s’agisse pas d’une obligation, rien ne s’oppose à l’application du statut des baux commerciaux au fonds de commerce électronique lorsque l’exploitant le désire. La valeur économique de cet emplacement sera cependant limitée.

Aussi, la jurisprudence a eu l’occasion d’affirmer que le bail commercial n’est pas un élément nécessaire du fonds de commerce (Com. 27 avr. 1993, n° 91-10.819.)

À cet égard, un commerce en ligne peut revêtir la qualification de fonds de commerce, nonobstant l’absence de local commercial.

En conséquence, le lieu d’implantation physique du cyber-marchand n’a pratiquement aucun impact pour le succès de son activité.

En revanche, à l’instar d’un commerce traditionnel, l’exploitant du site doit obligatoirement justifier d’une clientèle qui lui est propre pour revêtir la qualification de fonds commercial.


2 – La clientèle

En premier lieu, la clientèle correspond à une valeur dont dispose l’entreprise, représentée par le maintien des relations d’affaires entretenues avec l’ensemble des clients du commerçant.

À l’inverse d’un commerce physique, un fonds de e-commerce ne dispose pas d’implantation géographique, ce qui empêche les rapports directs avec la clientèle.

Or, il est communément admis que la clientèle constitue l’élément fondamental du fonds de commerce.

 À cet égard, la Cour de cassation considère qu’il n’existe pas de fonds commercial lorsqu’il n’y a pas de clientèle attachée à celui-ci (Com. 31 mai 1988, n°86-13.486.)

La condition de la reconnaissance du fonds de commerce électronique tient donc à l’admission d’une clientèle en ligne.

Au préalable, la jurisprudence s’est montrée réticente dans l’idée d’admettre qu’un site internet puisse disposer d’une réelle clientèle en raison que celle-ci peut aisément s’évaporer et conserver l’anonymat.

Or, dans un commerce physique, la démonstration de l’existence d’une clientèle fidèle et stable est plus manifeste.

Dès lors, le cybercommerçant doit établir qu’il a su développer une clientèle réelle et personnelle.

Désormais, compte tenu de l’évolution du commerce en ligne, un site internet dispose indéniablement d’une clientèle réelle.

Les chiffres du commerce électronique attestent qu’un grand nombre de la population réalisent leurs achats sur internet.

Dès lors, le processus semble identique à celui qui s’effectue dans le commerce classique.

À l’instar d’un commerce physique, les clients préfèrent se tourner vers un cyber-marchand qu’ils ont déjà identifiés notamment au moyen d’un référencement efficace sur la toile.

Ainsi, le développement de l’activité en ligne repose essentiellement sur la confiance qui s’est instaurée entre le commerçant et le client en raison de la qualité des services, du rapport qualité prix ou de la notoriété du site internet.

De ce fait, l’exercice d’une activité commerciale exclusivement en ligne n’est pas un obstacle à la constitution d’une véritable clientèle.

En revanche, la reconnaissance d’une clientèle personnelle a suscité plus de difficultés.

La question s’était posée à propos du fournisseur d’accès à internet et des rapports que ce dernier entretenait avec l’exploitant du site internet.

Dès lors que les échanges entre l’acheteur et le vendeur font intervenir le fournisseur d’accès à internet, il a été retenu que la clientèle n’appartenait pas au cybercommerçant mais à ce fournisseur, en raison de l’obligation pour les clients de passer par l’intermédiaire de ses services pour accéder au site marchand.

Or, un cybercommerçant est certes dépendant d’un fournisseur d’accès à internet pour permettre la visibilité de son site marchand, mais dispose d’une clientèle propre et distincte de ce fournisseur, bien que celle-ci soit en partie composée des mêmes personnes.

La Cour d’appel de Paris a eu l’occasion de l’affirmer à propos du Minitel en estimant que l’exploitant d’un service de messagerie conviviale disposait bien d’une clientèle personnelle, distincte de celle de France Telecom, auquel il convenait d’être abonné pour pouvoir accéder au service (Cour d’appel de Paris, 4e ch., 28 janvier 2005, n°02/14489.)

Dès lors, un site marchand dispose manifestement d’une clientèle réelle et personnelle.

En complément des éléments caractéristiques d’un fonds de commerce, un site internet dispose d’éléments incorporels particuliers.


B) Les éléments incorporels spécifiques au fonds de e-commerce


Un site d’e-commerce s’accompagne d’éléments incorporels dont certains n’apparaissent pas dans un fonds de commerce physique.

En effet, on retrouve l’ensemble des éléments d’exploitation du site parmi lesquels figurent le nom du domaine, les adresses électroniques, la charte graphique, le programme de logiciel, les contrats d’hébergement et de création du site, les réseaux sociaux ou encore le fichier clients.

Certains d’entre eux représentent un atout majeur pour la rentabilité du site internet.

En premier lieu, le nom de domaine, défini comme la dénomination électronique de l’entreprise, est essentiel pour le site internet dans la mesure où il permet l’accès au commerce en ligne, en constitue le signe distinctif et de ralliement de la clientèle.

Autrement dit, le nom de domaine joue la double fonction de nom commercial et d’enseigne.

Or, la particularité du commerce en ligne réside dans l’impossibilité pour un cyber-marchand de choisir un nom de domaine déjà utilisé par un précédent site internet.

Dès lors, cette abolition entraîne une différence nette vis-à-vis du commerce traditionnel dans la mesure où deux commerçants sont autorisés à adopter le même nom commercial si la distance entre leur territoire d’activité n’est pas susceptible d’entraîner une confusion.

Ensuite, la charte graphique assure l’esthétique du site marchand, ce qui constitue l’une des composantes importantes de la réussite de l’entreprise.

En outre, s’agissant du fichier clientèle, l’exploitant du site internet dispose d’un certain nombre d’informations personnelles sur le client.

Le cybercommerçant va donc personnaliser son offre de produits afin de se conformer aux habitudes de consommation du client, dans une optique de fidélisation de celui-ci.

Au regard de ces composants, nul doute qu’un site marchand constitue un fonds de commerce électronique.


II – LES CONSÉQUENCES DE LA QUALIFICATION DE FONDS DE COMMERCE


La qualification de fonds commercial confère au site marchand le statut protecteur de fonds de commerce prévu aux articles L141-1 et suivants du Code de commerce.

Une première interrogation demeure s’agissant de l’existence d’un véritable fonds de e-commerce autonome ou d’un simple fonds secondaire.

De surcroit, l’un des avantages majeurs de ce statut est la faculté pour le commerçant de céder son fonds de commerce électronique.


A) L’existence d’un fonds autonome ou accessoire


L’exploitation d’une clientèle sur internet conduit à la question de savoir si le cybercommerçant, qui exploite parallèlement un fonds de commerce traditionnel, dispose d’un fonds commercial autonome ou simplement d’un fonds secondaire.

A cet égard, il convient de déterminer si la clientèle physique et la clientèle électronique sont indépendantes l’une de l’autre.

Lorsque l’entreprise entretient des relations avec ses clients uniquement de façon dématérialisée, il est possible d’y constater l’émergence d’un fonds de e-commerce autonome.

Néanmoins, l’analyse est plus délicate lorsque l’activité sur internet est complémentaire à une activité commerciale classique.

Dans ce cas, il convient de distinguer deux hypothèses.

Si l’activité exercée sur internet est différente de celle effectuée dans l’établissement, il existe assurément deux types de clientèle et donc deux fonds de commerce distincts.

À l’inverse, si le site internet n’est que le prolongement du commerce physique, c’est-à-dire que l’activité est identique, il y a lieu de considérer que la clientèle est unique.

Par exemple, de nombreuses enseignes de grande surface commercialisent les mêmes produits au sein de ses établissements physiques et sur son site internet.

La plupart des éléments attractifs de clientèle sont des composantes du fonds de départ telles que la marque ou le savoir-faire de l’entreprise, ce qui signifie qu’il n’existe qu’un seul et même fonds commercial.

Par conséquent, l’existence d’un fonds de commerce électronique est pleinement reconnu, qu’il soit unique ou complémentaire à un fonds commercial physique existant.

 

B) La cession du fonds de commerce électronique


La vente du fonds de e-commerce comprend à la fois le bien immatériel (le site internet) et l’activité commerciale (le fonds de commerce).

Bien qu’elle soit complexe, cette opération n’est pas rare compte tenu de l’importante valeur ajoutée que représente un site marchand.

À cette occasion, un certain nombre d’éléments doit attirer l’attention des parties.

 

1 – La cession de la clientèle

 

L’existence d’une e-clientèle désormais établie suppose que celle-ci soit nécessairement cédée avec le fonds.

À défaut, ce n’est pas un fonds de commerce mais seulement un site internet qui sera cédé à l’acquéreur de manière isolée.

Le fichier-clients doit également faire l’objet des déclarations obligatoires à la CNIL, conformément à la loi du 6 janvier 1978 « informatique et liberté », sous peine de nullité de l’opération (Com. 25 juin 2013, n° 12-17.037.)

Dans le même sens il est impératifs de ses conformer aux exigences de la CNIL et du RGPD (règlement UE n° 2016/679, dit règlement général sur la protection des données).

Par ailleurs, la cession de la clientèle à l’acquéreur lui accorde une protection.

En effet, le cédant ne pourra plus revendiquer cette clientèle dans l’hypothèse où ce dernier élabore un nouveau site internet, au risque de se voir opposer une action en concurrence déloyale.

De ce fait, la rédaction de l’acte de cession revêt une importance primordiale afin de prémunir les parties contre d’éventuelles actions.

Dès lors, se pose la question de l’insertion d’une clause de non-concurrence à l’acte de cession du fonds de commerce électronique.

Or, la spécificité d’internet rend inutile cette clause lorsqu’elle est limitée géographiquement.

De plus, celle-ci ne doit pas empêcher le cédant d’exercer toute activité concurrente sur internet sans prévoir aucune limitation, sous peine d’illicéité de la clause.

La clause de non-concurrence doit donc être adaptée à l’univers numérique afin d’être pleinement efficace, ce qui n’est pas sans occasionner des difficultés.

 

2 – La cession des contrats nécessaires à l’exploitation du fonds

 

L’acquéreur du fonds de e-commerce doit être vigilant quant aux éléments inclus dans le contrat de cession.

En effet, une cession du site marchand sans les différents contrats nécessaires à l’exploitation du fonds est dépourvue d’utilité.

À cet égard, l’acte de cession doit nécessairement prévoir la transmission à minima du contrat d’hébergement et des contrats de référencement du site.

Ensuite, s’ajoutent notamment la cession des comptes de réseaux sociaux et certains accords conclus avec divers prestataires tels que des contrats d’affiliation qui ne sont pas transmissibles de plein droit.

Dès lors, les parties devront veiller minutieusement à intégrer l’ensemble de ces contrats à la cession.


3 – La transmission des droits de propriété intellectuelle

 

Le contrat de cession doit prévoir la transmission au cessionnaire des droits d’auteur sur les composants du site internet (article L131-3 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.)

Ainsi, l’acquéreur du fonds commercial doit s’assurer que le cédant est bien titulaire des droits de propriété intellectuelle sur l’intégralité des éléments qui composent le site marchand (la charte graphique, les images, les textes etc.)

S’agissant notamment du nom de domaine, l’acquéreur doit vérifier que celui-ci ne contrevient pas à des droits de propriété intellectuelle préexistants au profit d’une tierce personne.

En effet, il n’est pas rare que le nom commercial fasse l’objet de la part de l’exploitant d’un enregistrement à titre de marque conformément à l’article L712-1 du Code de la propriété intellectuelle, ce qui lui assure une protection renforcée.

Dès lors que le cédant a utilisé une marque ou un nom commercial appartenant à autrui, celui-ci bénéficie d’une action pour contrefaçon à l’encontre du cessionnaire du fonds.

De ce fait, il est conseiller à l’acquéreur du fonds d’inclure une clause de garantie de jouissance paisible afin de le prémunir contre toute menace d’action à son encontre.

Il s’agit d’éviter le risque de perte d’exploitation du fonds de commerce et de subir une condamnation à une somme d’argent au titre du préjudice subi par le véritable propriétaire.

 

4 – L’accomplissement des formalités de cession


 À l’instar de la vente d’un fonds de commerce traditionnel, les parties disposent de quinze jours après la date du contrat pour publier la cession au BODACC afin d’avertir les créanciers de cette opération.

Il paraît judicieux d’informer également les clients de ce changement d’interlocuteur directement sur le site internet.

S’agissant des droits d’enregistrement dus sur l’opération, l’article 720 du Code général des impôts dispose que les dispositions applicables à la cession d’un fonds de commerce sont étendues à toute convention à titre onéreux ayant pour effet de permettre à une personne d’exercer une profession occupée par le précédent titulaire.

Dès lors, tout acquéreur d’un site internet sera tenu, au même titre qu’une acquisition de fonds de commerce classique, de s’acquitter des droits d’enregistrement.

 

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