Logo litigieux en maroquinerie : une protection relative des marques renommées - Avity - Cabinet d'avocats

Commentaire de la décision du Tribunal judiciaire de Paris, le 17 février 2023, 21/02820

Par un jugement en date du 17 février 2023, le tribunal judiciaire de Paris a eu à se prononcer sur la prétendue similitude entre deux logos de marques concurrentes.

Après avoir observé une modification des logos utilisés sur ses produits, dont témoignait selon elle la disparition progressive du symbole iconique des ailes, la société Louis Vuitton reprochait à l’enseigne Zadig & Voltaire l’utilisation d’un logo qu’elle estime tirer indûment profit de la renommée des marques correspondant à son monogramme « LV ». (1) Elle décidait ainsi d’agir sur le fondement du droit des marques, en invoquant un dépôt de marque semi-figurative, excluant par-là le droit d’auteur.

A titre subsidiaire, elle qualifie cet usage de parasitisme.

Après l’avoir mise en demeure et face au refus opposé par Zadig & Voltaire, la société l’a alors assignée pour atteinte à la renommée de ses marques et parasitisme.

Le tribunal s’est alors prononcé sur les questions suivantes :

· Concernant la renommée

Louis Vuitton argue de la renommée que son monogramme dit ancien, utilisé depuis le XIXème siècle, connait, et, dans le même temps, de la renommée spécifique des publics visés concernant son nouveau monogramme, laquelle pouvait, selon elle, être attestée par l’ampleur des campagnes publicitaires et des articles de presse le concernant.

En réponse, la société ZV a d’abord rappelé que « la renommée s’apprécie pour chaque marque prise individuellement » ; suivant, elle conteste la prétendue renommée du nouveau logo.

La juridiction, qui ne conteste pas la renommée de la marque, procède effectivement à une analyse distincte en scindant les différentes marques de Louis Vuitton, selon qu’elles concernent l’ancien ou le nouveau logo.

-concernant les marques correspondant au monogramme ancien, il en résulte que celles-ci connaissent une forte renommée pour le tribunal judiciaire

-concernant les marques correspondant au nouveau monogramme, il en va autrement ; le tribunal relève tout particulièrement que ces marques n’ont été utilisées que depuis 6 ans, à l’époque des faits litigieux, sur un nombre relativement restreint de sacs à main et dont la société titulaire ne démontre pas réellement la reconnaissance par le public ciblé (lequel ne fait par ailleurs pas l’objet d’une tentative de description de la part de la demanderesse).

En outre, pour le tribunal judiciaire, aucun élément tangible ne permet d’apprécier l’ampleur du succès commercial invoqué par Louis Vuitton

Il en résulte que la renommée des deux marques correspondant au nouveau monogramme n’est pas démontrée.

  • Concernant le lien entre le signe litigieux et les marques

En outre, pour démontrer l’existence d’un lien dans l’esprit du public entre le logo utilisé par Zadig & Voltaire et le sien, la société Louis Vuitton procède par faisceau d’indices et expose que :

  • sur le plan visuel, d’abord, les signes sont similaires : les deux lettres, dont l’une est commune, sont superposées, écrites en majuscule et ont une taille de caractère similaire ;
  • sur le plan phonétique, ensuite, une lettre est commune et le L est comme le V une consonne apicale ;
  • sur le plan conceptuel, enfin, il s’agit dans les deux cas d’initiales ;

 

 

 

La demanderesse relève que ce lien permet à la défenderesse autant de tirer indûment profit de la notoriété de ses marques que de porter atteinte à la distinctivité des marques renommées de Louis Vuitton.

Contestant toute similitude entre les signes, la société ZV a au contraire souligné la différence tant dans leur composition, leur style que leur présentation. En sus, elle invoque la fréquence d’utilisation d’un monogramme à l’effigie des initiales d’une marque. Elle poursuit en soutenant l’usage qu’elle fait de ses initiales à titre de marque et de logo depuis 2005, lui permettant par là d’affirmer son identité et de développer sa gamme. Quant à la prétendue disparition du logo emblématique des ailes, elle rappelle sa présence dans ses dernières communications.

Le Tribunal, de la même façon que les deux parties en présence, se livre à une comparaison approfondie des deux logos. Il en déduit que :

  • sur le plan visuel, « les points communs entre la marque et le signe se résument à l’emploi de deux lettres majuscules de taille similaire, superposées. Or l’emploi de plusieurs lettres superposées en un signe unique est le principe même d’un monogramme, procédé habituel qui n’est pas distinctif dans son simple principe ». Il en résulte que  « la perception de ces deux signes dans leur ensemble est double : elle s’attache d’une part à des éléments certes communs mais génériques, et donc peu susceptible de susciter une association pour le public confronté à ces marques, à savoir la présence de deux lettres aisément reconnaissables, dont un V, se recoupant en tout ou partie ; d’autre part à un mécanisme de superposition clairement visible, et nettement dissemblable. Les deux signes sont donc très peu similaires visuellement dans ce qui fait leur distinctivité. »
  • sur le plan auditif et cognitif, aucun lien ne peut être relevé pour le Tribunal ; d’une part, car « aucun lien n’existe dans l’esprit du public entre « ellevé » et « zèdevé » » et, d’autre part, car le public n’attache selon lui pas de sens intrinsèque à l’emploi d’un monogramme de deux lettres

Il en ressort que « les marques en cause sont trop peu similaires pour que le public pertinent établisse un lien entre elles ».  Plus précisément, il faudrait, « pour que le public associe les marques en cause malgré leur très faible similitude et leur construction et leur agencement différents, que la marque LV soit si renommée que le public lui associe tout autre monogramme de deux lettres contenant un V »

  • Concernant le parasitisme

Relativement au parasitisme (2), Louis Vuitton allègue l’emploi massif du nouveau logo au même fonctionnement pivotant, lequel est constitutif d’un risque de confusion.

La société LV lui oppose sa défaillance à démontrer la valeur individualisée qui aurait été reprise.

Partant, et après un bref rappel de la notion de parasitisme, la juridiction précise que la charge de la preuve des actes parasitaires revient au demandeur, qui doit tout particulièrement démontrer les investissements et efforts humains et financiers auxquels il s’est livré.

En l’espèce, elle relève que Louis Vuitton « n’expose pas en quoi l’emploi d’initiales en tant que fermoir de sac, pivotant ou non, ou en tant que boucle de ceinture, serait le fruit d’investissements particuliers lui ayant conféré une valeur économique individualisée »

     

    (1) A noter que deux logos sont invoqués par la société Louis Vuitton qui correspondent à deux versions d’un même monogramme, lesquels concernent quatre marques de maroquinerie déposées

    (2) Pour rappel, le parasitisme est «  le fait, pour un agent économique, de se placer dans le sillage d’une entreprise afin de tirer profit de ses efforts, de son savoir-faire et de sa notoriété sans rien dépenser«