France Agrimer : seul organisme compétent pour agréer les distillateurs - Avity - Cabinet d'avocats

Une SCEA de production de vins ne peut distiller elle-même son excédent de vin issu de cépage « double fin » au delà de la quantité normalement vinifiée sans obtenir l’agrément nécessaire par l’administration compétente.

Cour de cassation, Chambre criminelle, 21 novembre 2018, n°17-87.517

L’affaire remonte aux années 2010. Des agents de constatation des douanes vont procéder à 2 contrôles dans une SCEA entrepositaire agrée récoltant pour la campagne des récoltes 2006/2007 et 2007/2008.

Le 1er contrôle sera réalisé le 5 octobre 2007. Il sera constaté que la quantité normalement vinifiée (QNV) est de 1 651hL 781L. Le volume classé « double fin » présente un excédent initial de 213hL 22L, dont 45L seront livrés au titre de prestations d’alcool vinique. L’excédent final est donc de 168hL et 22L. Cette quantité ne sera pas envoyée à la distillation obligatoire conformément à l’article 28 du Règlement (CE) n°1493/1999 du 17 mai 1999 : « Les vins issus de raisins de variétés figurant dans le classement pour la même unité administrative simultanément en tant que variétés à raisins de cuve et en tant que variétés destinées à une autre utilisation qui dépassent les quantités normalement vinifiées et qui ne sont pas exportés pendant la campagne concernée sont distillés avant une date à déterminer. Sauf dérogation, ils ne peuvent circuler qu’à destination d’une distillerie. » mais sera utilisée dans la fabrication de «  Cognac ». Alors, un procès-verbal de notification d’infraction sera dressé par l’administration des douanes le 22 septembre 2009 et sera porté à la connaissance de l’entreprise en faute par LRAR le 29 juillet 2009.

L’infraction visée est relative à la violation de l’article 28 du Règlement européen et l’article 1794-6 du Code Général des Impôts relatif aux « Infractions aux dispositions communautaires ou nationales relatives aux distillations des vins issus de cépages classés à la fois comme variétés à raisin de cuve et comme variétés destinées à l’élaboration d’eaux-de-vie à appellation d’origine. »

Dans le 2nd contrôle réalisé le même jour pour la campagne 2007/2008, les agents de constatation des douanes vont relever les chiffres suivants : la QNV est de 2 305hL 48L. Le volume classé « double fin » est de 359hL 52L. L’entreprise va en livrer 111hL donc l’excédant final est de 248hL 52L.

Pour cet excédent, la SCEA va procéder à la distillation par ses propres soins en tant que distillateur récoltant entrepositaire agrée, comme le lui permet l’article 60 du règlement CE n°1623/2010 du 25 juillet 2000.

En effet, il est possible de réaliser soi-même la distillation à la condition de faire une demande pour être agrée auprès de l’organisme compétent. Diverses obligations doivent être remplies au sens de l’article 42 du règlement (CE) de la Commission n°1623/2000 du 25 juillet 2000 :

« 1. Les États membres agréent les distillateurs qui en font la demande et dont les installations se trouvent sur leur territoire ».

De plus, l’article 65-3 du même Règlement prévoit : « Les producteurs visés au paragraphe 1 du présent article disposant eux-mêmes d’installations de distillation et ayant l’intention de procéder à la distillation visée au présent chapitre présentent, pour agrément, à l’autorité compétente, avant une date à fixer, une déclaration de livraison à la distillation, ci-après dénommée « la déclaration » »

Ainsi, un cadre règlementaire est posé pour procéder à sa propre distillation. En l’absence de cadre règlementaire respecté, cette distillation doit s’effectuer avec par l’intermédiaire d’un distillateur agrée.

En conséquence, la Direction Interrégionale des douanes va constater que l’excédent n’a pas été livré à un distillateur agrée donc un défaut de livraison apparait. Celle-ci estime que la SCEA n’est pas agrée afin de procéder à sa propre distillation. Une nouvelle contravention est dressée sur la base légale de l’article 28 du Règlement n°1493/1999 et de l’article 1794-6 du CGI.

Un procès verbal de notification d’infraction sera dressé le 22 juin 2011 et notifié par LRAR le 31 mai 2011.

Avant l’introduction de l’instance, 2 propositions de transaction seront faites par la Douane au gérant le SCEA : propositions qu’il refusera.

Alors, après une condamnation de la SCEA en 1ère instance des chefs d’infraction à la règlementation sur l’organisation et l’assainissement du marché du vin, un appel sera interjeté devant la cour d’appel de Poitiers. Celle-ci va rendre son arrêt le 6 octobre 2017 et va relaxer les prévenus.

La cour d’appel juge que la SCEA pouvait distiller elle-même ses crus dans la mesure où le cadre réglementaire européen est respecté et appliqué. Un imprimé « Déclaration avant travaux de distillation – Bouilleurs de cru – Distillation à domicile » avait été envoyé à la Direction Interrégionale des Douanes de Nouvelle-Aquitaine, satisfaisant dès lors dans les délais la déclaration légale de l’article 65-3 pour la double campagne. L’autorité compétente en France pour délivrer cet agrément était, selon elle, l’administration des douanes. Par son absence de réponse, la cour d’appel y a vu une absence d’opposition donc une autorisation tacite de distiller. De plus, aucune demande d’explication n’avait été formulée par l’administration des douanes.

De ce fait, les infractions visées n’étaient pas constituées.

Un pourvoi sera formé par l’administration des douanes et droits indirects.

Tout d’abord, l’administration des douanes estime que la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 42 du Règlement CE n°1623/2000 en s’abstenant de constater l’obtention de l’agrément requis par la SCEA lui permettant de distiller son excédent.

Ensuite, pour l’obtention de l’agrément, une décision de l’autorité compétente doit intervenir, à travers un acte positif. La cour d’appel a donc violé l’article 42 dudit Règlement en déduisant d’une absence de réponse une décision de l’autorité compétente.

De plus, l’agrément requis l’est après avis uniquement de la Direction Générale des Douanes et des droits indirects. Cette Direction ne délivre pas l’agrément. En vertu de l’arrêté du 9 février 1988, l’administration compétente à la délivrance de cet agrément est France Agrimer. Dès lors, la cour d’appel a une nouvelle fois privé sa décision de base légale.

Sans agrément, l’excédent ne peut être affecté qu’à un usage industriel et non pour du vin de table. En ne retenant pas ceci, la cour d’appel viole une nouvelle fois les textes susvisés.

Enfin, l’administration des douanes estime que l’élément intentionnel de l’infraction se trouve dans la conscience de la SCEA de ne pas avoir accompli les diligences nécessaires afin de distiller son excédent. En s’abstenant de rechercher la conscience de la SCEA, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

Par ailleurs, une hésitation provoquée par les textes en vigueur ne peut être invoquée à l’appui d’une erreur de droit.

Alors, la Cour de cassation devait répondre à la question de savoir si la SCEA était en mesure de procéder elle-même à la distillation de son excédent de vin ?

La Chambre criminelle, dans son arrêt du 21 novembre 2018 va casser et annuler l’arrêt de la Cour d’appel de Poitiers au visa des articles 28 du Règlement n°1493/1999, et 42  puis 65-3 du Règlement n°1623/2000 du 25 juillet 2000.

Après avoir rappelé très clairement le sens des articles concernés, la Cour de cassation affirme que l’agrément doit être sollicité, après avis de l’administration des douanes et droits indirects, auprès d’un organisme qui est France Agrimer aujourd’hui (l’Office national interprofessionnel des vins initialement).

Dès lors, cet organisme « a seul compétence pour délivrer cet agrément qui ne peut être implicite. »

En estimant qu’une absence de réponse de l’administration des douanes équivalait en un agrément, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés.

Ainsi, les vins issus de raisins de variétés classées « double fin » qui dépassent les QNV doivent être distillés. Il est possible de déroger à cette règle si les distillateurs font une demande d’agrément et remplissent les conditions nécessaires. Les distillateurs, disposant eux-mêmes d’installations de distillation et ayant l’intention de procéder à sa distillation présentent, pour agrément, à l’autorité compétente, une déclaration de livraison à la distillation.

Dans ce cas, uniquement, il sera possible de procéder à la distillation de son excédent sans se faire condamner par l’administration des douanes. Les récoltants sont donc rappelés à la plus grande vigilance par la Cour de cassation.

 

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