Éoliennes anti-gel : l’épineuse conciliation de la sauvegarde des exploitations agricoles et des droits des riverains - Avity - Cabinet d'avocats

Chaque année, l’évolution du climat constitue un véritable défi pour les vignerons s’agissant de la sauvegarde de leur exploitation. Il est désormais courant d’observer une baisse des températures occasionnant des dégâts significatifs qui fragilisent fortement les entreprises vitivinicoles, tant sur le plan commercial qu’économique.


Le vignoble bordelais est malheureusement connu pour son risque gélif très fort, notamment au printemps. Le récent épisode de gelées en 2017 a d’ailleurs provoqué la perte de plus de la moitié des récoltes des viticulteurs bordelais.

Dans ce contexte, les vignerons usent de diverses techniques de prévention et de lutte contre les risques liés aux changements climatiques.

Prenant exemple sur les pratiques qui ont fait leurs preuves dans les régions voisines, notamment en Val de Loire, l’implantation d’éoliennes (ou tours) anti-gel au sein des vignobles s’est multipliée au cours des dernières années.

Au-delà du coût important qu’elle engendre, l’éolienne anti-gel a la particularité, en l’absence de vent, de ne tourner que quelques jours par an. Son mécanisme, très simple, consiste à inverser la température et à assécher l’humidité dans l’air.

Si leur efficacité semble aujourd’hui avérée, particulièrement sur les gels de printemps, les viticulteurs doivent néanmoins faire face à des riverains qui ne semble pas accueillir favorablement ces nouvelles installations.

Les raisons les plus fréquemment invoquées par ces riverains tiennent notamment à une gêne esthétique et acoustique générée par ces éoliennes.

La problématique actuelle repose ainsi sur la recherche d’une conciliation durable entre, d’une part, la préservation des exploitations agricoles par l’utilisation d’éoliennes anti-gel et, d’autre part, le respect de la tranquillité des voisins de ces installations. 

La loi française prévoit à ce titre que les riverains sont titulaires de certains droits, comme le droit de jouissance paisible. Ce faisant, ces derniers peuvent en principe invoquer un potentiel trouble de jouissance lié à l’activité des éoliennes, qu’il soit notamment visuel ou sonore.

Ainsi, il convient dans un premier temps de mettre en lumière les fondements juridiques des actions ouvertes aux riverains permettant de s’opposer à l’implantation d’éoliennes anti-gel.

Dans un second temps, il convient d’étudier les moyens de défense des vignerons utilisateurs et/ou propriétaires d’éoliennes anti-gel.

 

1. LA PRESERVATION DES DROITS DES RIVERAINS

Il convient tout d’abord de préciser que l’implantation d’éoliennes en France est réglementée. Elle est en effet assujettie aux règles d’urbanisme ainsi qu’à la législation protectrice de l’environnement.

L’installation d’une éolienne comprise entre 12 mètres inclus et 50 mètres est en effet soumise à la délivrance d’un permis de construire dont l’obtention peut vite s’avérer complexe.

En outre, depuis la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement[1], les éoliennes relèvent du régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) en raison des nuisances éventuelles ou des risques importants de pollution des sols ou d’accident qu’elles présentent.

Elles sont à ce titre soumises au régime de la déclaration imposé par la nomenclature ICPE lorsque leur hauteur est comprise entre 12 et 50 m.

S’agissant des éoliennes de moins de 12 mètres, elles bénéficient d’un régime bien plus favorable dans la mesure où elles peuvent être librement implantées, sauf à l’être au sein d’un site classé, d’un site patrimonial remarquable, ou encore à proximité d’un monument historique.

Toutefois, l’installation d’éoliennes, même valablement implantée, peut engendrer certains désordres pour les riverains, et ce, qu’il s’agisse ou non d’une éolienne anti-gel.

Dès lors, l’enjeu repose essentiellement sur la faculté d’allier deux intérêts distincts tenant à :

  • La protection des vignes par l’utilisation d’un mécanisme régulateur de température ;
  • La préservation des droits accordés au voisinage.

Cette articulation peut, en pratique, s’avérer complexe à mettre en place de sorte que l’intervention du juge est souvent nécessaire pour trancher les litiges (entre voisins/riverain).


1.1. La protection des riverains par l’administration

L’article L. 2212-2 2° du Code général des collectivités territoriales précise que « la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : […] le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d’ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d’assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tout actes de nature à compromettre la tranquillité publique. […] ».

Dans chaque commune, le Maire est chargé, sous le contrôle du représentant de l’Etat dans le département, à savoir : le Préfet, de la police municipale.

Le Maire concourt ainsi, par son pouvoir de police, à l’exercice de ses missions de sécurité et de tranquillité publique.

Afin d’améliorer la qualité de vie et le quotidien de ses administrés, il a donc la possibilité de prendre des arrêtés municipaux permettant de règlementer la vie de sa commune.

A ce titre, il a été rappelé aux termes d’une réponse ministérielle, que le Maire, au titre de ses pouvoirs de police, se devait de réprimer les nuisances résultant du fonctionnement des éoliennes qui porteraient atteintes à la tranquillité publique des riverains[2].

Pour ce faire, il est admis que celui-ci puisse prendre toute mesure destinée à faire cesser ou à atténuer les nuisances résultant du fonctionnement d’éoliennes et notamment d’éolienne anti-gel, du moment que ces mesures sont limitées dans le temps et dans l’espace[3].

A défaut, et en présence d’atteintes à la tranquillité publique d’une gravité suffisante pour justifier le recours aux pouvoirs de police, le Maire qui s’abstient d’en faire usage pour édicter la réglementation appropriée engage la responsabilité de la commune[4].

Toutefois, une commune qui se borne à faire état qu’un projet de construction d’éoliennes porterait atteinte à l’environnement visuel de ses habitants, sans se prévaloir d’une incidence sur sa situation ou sur les intérêts dont elle a la charge, ne justifie pas d’un intérêt suffisant pour demander l’annulation du permis de construire[5].

1.2. La préservation des droits civils des riverains

Parallèlement aux pouvoirs donnés aux représentants de l’Etat dans les départements et les communes, le droit civil confère également des droits privés aux riverains.

Le plus souvent, la collectivité de riverains qui se plaint des inconvénients imputables aux éoliennes, se fonde sur les troubles anormaux du voisinage.

Cette théorie est fondée implicitement sur l’article 544 du Code civil relatif au droit de propriété.

L’article précité pose le principe selon lequel le voisin, qui subit des nuisances dépassant les inconvénients normaux du voisinage, est fondé à solliciter l’octroi de dommages et intérêts et/ou la démolition de l’éolienne en question.

Pour obtenir réparation, la collectivité de riverains doit, au demeurant, rapporter la preuve d’un préjudice réel, continu et persistant.

Dans ce contexte, la jurisprudence a eu l’occasion d’apprécier in concreto les situations permettant de se prononcer en faveur du trouble anormal du voisinage.

Il a en effet d’ores et déjà pu être reconnu l’existence d’un préjudice en raison des troubles visuels et auditifs excessifs imposés aux riverains en plus de la dépréciation foncière de leurs propriétés[6].

1.2.1. Les nuisances sonores

L’article R.1334-1 du Code de la santé publique précise que : « Aucun bruit particulier ne doit par sa durée, sa répétition, son intensité porter atteinte à la tranquillité du voisinage. »

À cet égard, les juges estiment que la gêne provoquée par les nuisances sonores doit être continue, constante et dépasse l’émergence maximum autorisée par la règlementation sur les bruits de voisinage[7].

L’émergence s’entend de la différence de niveau sonore entre le bruit objet de la contestation et le niveau sonore sans ce bruit particulier.

Ainsi, l’émergence globale dans un lieu donné est définie quant à elle par la différence entre le niveau de bruit ambiant, comportant le bruit particulier en cause et le niveau du bruit résiduel constitué par l’ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l’occupation normale des lieux.

De ce fait, si le bruit engendré par l’éolienne excède les valeurs limites d’émergence, il apparaît que cette nuisance entrave l’usage normal de l’habitation voisine et constitue ainsi un trouble anormal du voisinage[9].

En revanche, il y a lieu de considérer que la survenance momentanée et modérée de bruits n’est pas de nature à occasionner un trouble anormal de voisinage.

L’appréciation du volume considéré comme supportable ou non par le voisinage est toutefois généralement du ressort d’un expert dont le juge pourra ordonner l’intervention, avant tout procès, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.

À cet égard, la propagation du bruit va dépendre de plusieurs facteurs : la direction et la force du vent, des saisons ou même de la présence de végétations ou non[10].

Dès lors, la présence de nuisances acoustiques ne sera pas systématiquement assimilée à un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage puisque chaque situation sera appréciée au cas par cas.

Par conséquent, le juge pourra décider de faire prévaloir l’activité agricole de l’exploitant lorsque l’ampleur des impératifs économiques dépasse celle des nuisances sonores.


1.2.2. Les nuisances visuelles

Bien que la conservation d’un paysage de campagne ne figure pas parmi les droits acquis par l’habitant ou l’administré, il semble que l’implantation d’un certain nombre d’éoliennes à proximité de son domicile, de nature à dénaturer un environnement paisible et esthétiquement honorable, constitue un préjudice visuel permanent[11].

Dès lors, pour admettre l’existence d’un trouble de cette nature, il faut que l’éolienne soit située sur un site remarquable dont les caractéristiques particulières seraient incompatibles avec la présence d’un tel ouvrage ou encore que celui-ci provoque une nuisance de nature objective telle qu’une obstruction de la vue.

À l’inverse, le préjudice résultant du désagrément causé aux occupants de la propriété par la vision de l’éolienne ne peut pas à lui seul constituer un trouble anormal.

Ainsi, les juges apprécient strictement l’importance de la nuisance esthétique afin d’établir une comparaison entre la gêne ressentie par les riverains et la nécessité d’utiliser des éoliennes pour les vignerons.


1.2.3. Les nuisances anormales

Outre les nuisances sonores et visuelles, il peut y avoir une anormalité détectée même en l’absence de violation aux dispositions légales, règlementaires ou administratives dès lors que la source de nuisance excède les inconvénients normaux de voisinage[2].


2. LES MOYENS DE DEFENSE DES VITICULTEURS

 Comme nous avons pu le voir précédemment, les autorisations accordées aux viticulteurs quant à l’utilisation d’éoliennes ne leur sont profitables que sous réserve du respect des droits des tiers, ce qui complique davantage la situation des exploitants.


2.1. L’exigence de troubles suffisamment graves

2.1.1. La liberté du commerce et de l’industrie

Une décision notable rendue par la Cour administrative d’appel de Marseille permet d’envisager une première approche s’agissant du fondement de l’action intentée à l’encontre du viticulteur[12].

En l’occurrence, un arrêté municipal interdisait le fonctionnement d’une éolienne agricole antigel dont le bruit occasionnait des plaintes du voisinage.

Or, cet arrêté a été jugé comme manifestement illégal car portant une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l’industrie de l’exploitant et excédant ainsi les restrictions que le Maire pouvait légalement imposer sur le fondement de ses pouvoirs de police.

À l’appui de sa décision, la Cour administrative d’appel tient compte de trois éléments :

  • Le fait que les nuisances à l’origine de l’arrêté litigieux étaient limitées à quelques jours dans l’année ;
  • Le fait que l’éolienne en question ait été implantée sur une partie de la commune à vocation agricole ;
  • Le fait que les nuisances invoquées étaient limitées en période hivernale impliquant normalement la fermeture des fenêtres des habitations la nuit.

Ainsi, les juges prennent en compte un certain nombre d’indices pour choisir de faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre.

Il semblerait à ce titre que le recours épisodique aux éoliennes justifié par les aléas climatiques, accorde ainsi une tolérance aux vignerons quant à l’utilisation de cette technique de sauvegarde des récoltes.

De plus, la juridiction s’attache au choix des riverains qui se sont installés en zone rurale, à proximité d’une exploitation agricole. Ces derniers ne pouvant donc se plaindre des nuisances sonores induites par cette même exploitation.

Dès lors, il ne suffit pas que les voisins subissent des nuisances sonores en provenance directe des éoliennes pour que soit interdit leur fonctionnement.

Il faut être en présence d’atteintes à la tranquillité publique d’une gravité suffisante de nature à justifier le recours aux pouvoirs de police de la tranquillité publique.

Favorable aux viticulteurs, cet arrêt permet donc d’instaurer un équilibre entre la tranquillité publique dont chaque riverain a droit et la liberté du commerce et de l’industrie permettant au professionnel de jouir pleinement de son exploitation.

En cas d’absence de nuisances excessives suffisamment graves n’entrainant pas véritablement la dégradation des conditions de vie des riverains, l’anormalité du trouble ne pourra pas être retenue[13].

Il semble ainsi que le juge se montre compréhensif vis-à-vis des viticulteurs dans l’appréciation de ce trouble.

Il estime en effet que lorsque le fonctionnement d’une éolienne n’altère que de manière assez limitée l’environnement de la propriété voisine, il n’y a pas lieu de considérer qu’il existe un trouble anormal du voisinage[14].

Dans le même sens, la jurisprudence refuse la réparation du préjudice invoqué par des voisins indirects alors que les voisins directs ne se sont aucunement plaints de la présence des éoliennes[15].

En tout état de cause, en l’absence de preuve que le fonctionnement de l’éolienne est directement la cause des nuisances subies, le voisinage ne pourra pas être indemnisé[16].

La jurisprudence apprécie donc rigoureusement les faits qui lui sont soumis pour reconnaître ou non l’existence d’un trouble anormal de voisinage.

L’exploitant de vignes a donc tout intérêt à ce que les preuves concernant les nuisances subies par le voisinage ne soient pas réunies ou bien que l’expertise constate que la gêne afférente à l’utilisation des éoliennes n’est pas excessive, mais résulte de l’usage normal de ce mécanisme.


2.1.2. Le privilège d’antériorité

En outre, l’article L.112-16 du Code de la construction et de l’habitation dispose que les nuisances dues à des activités agricoles ne peuvent donner lieu à réparation lorsque le plaignant s’est installé près d’une exploitation qui préexistait avant son arrivée, à condition que l’exploitation respecte les lois et règlements[17].

A première lecture, il semble que ce fondement puisse servir de moyen de défense à l’exploitant de vignes établi antérieurement à l’arrivée de son voisin qui se plaindrait de nuisances provoquées par des éoliennes.

Toutefois, il n’en demeure pas moins que le riverain en question pourra toujours rapporter la preuve d’une aggravation des troubles depuis le dépôt de la demande de permis de construire du plaignant[18].

Ainsi, la notion de pré-occupation ne constitue pas toujours le meilleur fondement de défense puisqu’il peut être aisément contré par l’adversaire. Sur ce point, il a d’ailleurs été jugé que l’antériorité d’une exploitation ne saurait systématiquement être opposée pour réfuter l’anormalité d’un trouble de voisinage[19].

De surcroît, il est évidemment inapplicable pour les vignerons qui se sont établis postérieurement à la collectivité de riverains.


2.2. Les conséquences néfastes d’une condamnation pour les viticulteurs

On l’aura compris, il est préférable pour les vignerons que les troubles résultant de l’utilisation d’éoliennes antigel ne soient pas suffisamment caractérisés afin que l’utilisation de tels mécanismes ne leur soit pas interdite.

En effet, la suppression ou l’interdiction éventuelle de ces éoliennes, perçues comme un outil miracle contre les calamités naturelles, serait fortement préjudiciable pour l’exploitant qui subirait à nouveau les aléas climatiques et, par conséquent (et partant), des pertes de marché.

De même, le poids de l’indemnisation des riverains sur le fondement du trouble anormal du voisinage est considérable.

Bien que la préservation de l’exploitation constitue un objectif majeur, il n’en demeure pas moins que la jurisprudence tend à admettre de plus en plus fréquemment le trouble anormal du voisinage, et ce, même lorsque le vigneron respecte les règles qui lui sont imposées.

Ainsi, la sauvegarde des vignes se voit concurrencée par le droit des tiers qui peut, selon les cas, prévaloir.

 


 

Par Alan ROY, Avocat à la Cour d’Appel de BORDEAUX – Associé Fondateur du Cabinet AVITY

Et Adrien SOURZAC, Avocat à la Cour d’Appel de BORDEAUX