Les récentes évolutions législatives et jurisprudentielles en matière de gestion des sociétés introduisent des changements significatifs dans les modalités de consultation des associés et la résolution des contentieux. La loi Attractivité de 2024 vise à moderniser et à simplifier les processus décisionnels des sociétés, en intégrant notamment des moyens électroniques pour les consultations écrites et les assemblées générales. Parallèlement, les contentieux entre associés, en particulier concernant la responsabilité du gérant et les préjudices personnels, soulèvent des questions juridiques complexes et nécessitent des mécanismes de prévention efficaces.
Loi Attractivité (2024) : Modernisation des consultations
- Consultation écrite électronique :
- Dispositions générales : La loi du 13 juin 2024 permet désormais aux sociétés civiles, aux SARL et aux SNC de recourir à la consultation écrite électronique pour les décisions collectives, avec des modalités définies par les statuts (C. civ. art. 1853 mod. et L. 221-6 al. 2 mod. par L. art. 18 I et II 1° et 2° a).
- Impact : Cette mesure vise à simplifier et à moderniser le processus décisionnel en intégrant des moyens électroniques, facilitant ainsi la participation des associés et réduisant les contraintes logistiques.
- Assemblées générales en télécommunication :
- Dispositions générales : Les assemblées générales des SA, qu’elles soient ordinaires, extraordinaires ou spéciales, peuvent désormais se tenir par des moyens de télécommunication sans nécessiter une clause statutaire spécifique (C. com. art. L. 225-103-1 al. 1 et 2 mod. et L. 225-107 II abrogé par L. art. 18 II 5° et 6°).
- SA cotées : Pour les SA cotées, les assemblées doivent être retransmises en direct et enregistrées, sauf impossibilité technique. Les enregistrements doivent être accessibles pour consultation (C. com. art. L. 22-10-38-1 créé par L. art. 18 12°).
- Vote par correspondance dans les SARL :
- Dispositions générales : Les statuts des SARL peuvent désormais permettre le vote par correspondance pour les assemblées générales, avec des mentions spécifiques déterminées par décret (C. com. art. L. 223-27 al. 1 mod. par L. art. 18 II 2° a).
- Impact : Cette disposition permet aux associés de participer aux décisions sans être physiquement présents, augmentant ainsi la flexibilité et la participation.
- Dématérialisation des assemblées générales des SA et SCA :
- Dispositions générales : Toutes les assemblées (ordinaires, extraordinaires et spéciales) peuvent se tenir par télécommunication permettant l’identification des actionnaires, même sans clause statutaire. Les actionnaires représentant au moins 25 % du capital peuvent s’opposer à une assemblée totalement dématérialisée (C. com. art. L. 225-103-1 al. 3 et 4 créés par L. art. 18 II 5° et L. 22-10-38).
- Impact : Cette mesure facilite la participation à distance tout en assurant la validité des assemblées, mais impose des conditions strictes pour s’opposer à la dématérialisation, assurant ainsi un équilibre entre flexibilité et protection des droits des actionnaires.
Droit des actionnaires renforcé
- Inscription de points à l’ordre du jour : Les actionnaires peuvent demander l’inscription de points ou de projets de résolution à l’ordre du jour des assemblées. En cas de refus, le tribunal de commerce doit statuer rapidement selon la procédure accélérée au fond (C. com. art. L. 225-105 al. 2 mod. par L. art. 19).
Problématiques soulevées par les contentieux entre associés
Action en responsabilité contre le gérant de la SNC
- Préjudice personnel des associés :
- Jurisprudence : Tout associé peut exercer une action en réparation du préjudice personnel subi du fait du gérant (C. civ. art. 1843-5 al. 1er). Cependant, le caractère direct ou indirect de ce préjudice est sujet à interprétation judiciaire. Par exemple, la Cour de cassation a reconnu en 2002 que les détournements de fonds par un associé-gérant causent un préjudice direct aux autres associés (Cass. crim. 10 avr. 2002 n° 01-81.282).
- Décision récente : Un jugement de 2020 a remis en question cette position en stipulant qu’un détournement de fonds par un employé de la SNC ne constituait pas un préjudice propre pour l’associé gérant (Cass. crim. 3 mars 2020 n° 18-86.939), ce qui remet en question la validité de l’arrêt de 2002
Mésentente entre associés
- Impact sur l’objet social :
- Les conflits entre associés peuvent compromettre la réalisation de l’objet social et mettre en péril l’existence de la société. Les solutions peuvent être conventionnelles, comme les clauses d’exclusion, ou judiciaires, comme la désignation d’un administrateur provisoire ou la dissolution judiciaire pour mésentente.
Conventions réglementées et abus de majorité
- Conventions réglementées :
- Non-approbation : Les conventions réglementées doivent être approuvées par les associés. En cas de non-approbation, elles peuvent être annulées pour abus de majorité (Cass. com. 28 juin 1988)
- Sanctions : Les conventions non approuvées produisent leurs effets à charge pour le gérant et, le cas échéant, pour l’associé contractant, qui peut être condamné à restituer les sommes perçues à la société (Cass. com. 10 déc. 1996)
- Abus de majorité et faute de gestion :
- Définition : L’abus de majorité est constitué lorsqu’une décision, adoptée régulièrement en la forme par la majorité des associés, est prise contrairement à l’intérêt social ou pour favoriser les associés majoritaires au détriment des associés minoritaires (Cass. 10 avril 2019 n°17-14.790 ; Cass. 14 octobre 2020 n°18-24.732)
- Exemples de fautes de gestion : Poursuite d’une activité déficitaire, déclaration tardive de l’état de cessation des paiements, comptabilité irrégulière ou incomplète, non-consultation des associés, rémunération excessive du dirigeant (C. com. art. L. 223-22 et L. 225-252 ; CA Paris 28-5-2009)
Synthèse et implications
Les mesures légales récentes apportent une modernisation significative dans les modalités de consultation et de décision au sein des sociétés, rendant ces processus plus flexibles et adaptés aux technologies actuelles. Cependant, les contentieux entre associés, en particulier ceux concernant la responsabilité du gérant et les préjudices subis, restent complexes et nécessitent des mécanismes préventifs efficaces. Les évolutions jurisprudentielles montrent une reconsidération des préjudices personnels des associés, indiquant la nécessité d’une vigilance accrue dans la gestion des relations inter-associés pour protéger les intérêts de toutes les parties prenantes.
Ces ajustements législatifs et la jurisprudence soulignent l’importance pour les sociétés de revoir régulièrement leurs statuts et clauses internes pour anticiper et gérer les conflits potentiels, tout en assurant la transparence et l’équité dans les processus décisionnels. La mise en place de conventions réglementées correctement approuvées, la surveillance des pratiques de gestion et la protection des droits des minoritaires sont essentielles pour maintenir la stabilité et la pérennité des entreprises.