Une question subtile aux conséquences pratiques majeures
L’univers du vin est marqué par une forte protection des marques et des indications géographiques, garantes de l’authenticité et de la traçabilité des produits. Une décision récente de la Cour de cassation (Com., 15 mai 2024, n° 22-20.464, F-D, Dalloz IP/IT 2024. 533, obs. S. Chatry) vient éclairer la question de l’usage à titre de marque, et notamment l’atteinte potentielle aux marques vitivinicoles par l’emploi de mentions telles que « mis en bouteille par… » ou « fournisseur… ».
Cet arrêt pose un enjeu fondamental : une entreprise peut-elle être poursuivie pour contrefaçon de marque lorsqu’elle utilise un nom enregistré en tant que marque dans un cadre informatif ou réglementaire ?
1. L’usage à titre de marque : définition et conditions de protection
Pour qu’un usage soit qualifié de contrefaçon de marque, trois conditions doivent être réunies :
- Un usage du signe en question : il doit être utilisé par un tiers non autorisé.
- Un usage pour des produits ou services similaires : ici, les vins et spiritueux.
- Un usage portant atteinte à la fonction essentielle de la marque : il doit créer un risque de confusion ou détourner la clientèle.
📌 Exemple pratique : Un distributeur de vins mentionnant sur son étiquette « Mis en bouteille par Domaine Rolly Gassmann » peut-il être considéré comme portant atteinte à la marque « Rolly Gassmann » ?
Réponse des juges : L’appréciation repose sur la perception du public concerné.
2. L’affaire Rolly Gassmann : l’usage de la mention « mis en bouteille par… »
Dans cette affaire, la société Domaine Rolly Gassmann reprochait à un grossiste et à un distributeur l’usage de la mention « mis en bouteille par… », incluant le nom « Gassmann », en petits caractères sur des contre-étiquettes de bouteilles de vin.
La cour d’appel de Colmar avait rejeté l’action en contrefaçon, considérant que cette mention : ✅ Ne visait pas à distinguer le produit mais uniquement à informer sur l’embouteilleur. ✅ N’était pas perçue par le public comme un élément distinctif de la marque. ✅ Répondait à une obligation réglementaire, et n’était donc pas un usage à titre de marque.
📌 Décision de la Cour de cassation : Elle valide cette analyse, estimant que la mention « mis en bouteille par… » n’exerçait pas la fonction d’une marque, et ne pouvait donc pas être constitutive d’une contrefaçon.
3. L’affaire du « fournisseur… » : une qualification plus incertaine
Dans un second volet de l’affaire, un distributeur utilisait la mention « Fournisseur : [Nom incluant Gassmann] » sur des prospectus publicitaires. Contrairement à l’étiquetage réglementaire, cet usage publicitaire pouvait potentiellement créer une ambiguïté sur la provenance commerciale du vin.
🛑 Problème soulevé : Un usage publicitaire peut-il être considéré comme un emploi de marque ?
🔎 Analyse de la Cour de cassation : Contrairement à la mention réglementaire, cette mention publicitaire pouvait laisser penser que la société en question était l’origine du vin. La cour d’appel ayant écarté cette qualification trop rapidement, la décision est cassée.
4. Étiquetage et mentions obligatoires : un équilibre à respecter
L’étiquetage des vins est strictement encadré par les règlements européens et le Code de la consommation. Il doit garantir une information claire et non trompeuse pour les consommateurs en leur fournissant des éléments précis sur l’origine, la composition et les spécificités du produit. Chaque bouteille doit comporter des mentions obligatoires telles que la catégorie du vin (AOP, IGP, Vin de France), son taux d’alcool, l’origine géographique, le nom de l’embouteilleur ou du producteur, ainsi que la présence d’allergènes.
En complément, certaines mentions facultatives peuvent être ajoutées, telles que des distinctions reçues, des conseils de dégustation ou encore des indications de garde. Toutefois, il est crucial que ces informations ne soient pas trompeuses et qu’elles respectent les règles en vigueur afin d’éviter tout risque de confusion avec une marque protégée. Le non-respect de ces obligations peut entraîner des sanctions et des poursuites pour pratiques commerciales trompeuses ou atteinte aux marques.
✅ Mentions obligatoires (Règlement (UE) n° 1308/2013) :
- La dénomination de vente (ex : AOP, IGP, Vin de France).
- Le taux d’alcool.
- L’origine du vin.
- Le nom de l’embouteilleur ou du producteur.
- La mention des allergènes.
🚨 Attention aux mentions susceptibles d’induire en erreur :
- Utiliser une marque vitivinicole dans une mention informative ne doit pas suggérer une origine commerciale erronée.
- La taille des caractères et leur positionnement sont des éléments pris en compte par les juges pour déterminer si une confusion est possible.
- L’étiquetage doit rester conforme aux obligations réglementaires sans créer d’association abusive avec une marque protégée.
5. Implications pour les producteurs et distributeurs de vin
🚨 Points de vigilance pour les acteurs du marché : ✅ Mentions obligatoires vs. Usage publicitaire : Les mentions réglementaires (ex : « mis en bouteille par… ») ne portent pas atteinte à une marque si elles sont strictement informatives. En revanche, une utilisation dans un cadre promotionnel peut être litigieuse. ✅ Importance de la perception du public : Une mention sera jugée comme une atteinte si elle peut être interprétée comme un élément distinctif attirant la clientèle. ✅ Précautions à prendre pour les étiquetages et supports commerciaux : Il est recommandé aux producteurs et distributeurs de bien séparer les mentions réglementaires des messages promotionnels pour éviter tout risque de contentieux.
6. Conclusion : Vers une clarification du droit des marques vitivinicoles ?
Cet arrêt apporte des clarifications majeures quant à l’usage des marques dans le secteur vitivinicole. Si une mention est purement informative et obligatoire, elle n’est pas constitutive d’une contrefaçon. En revanche, tout usage ambigu dans un contexte publicitaire ou promotionnel peut être sanctionné.
➡️ Producteurs, négociants, distributeurs : soyez vigilants sur l’emploi des marques vitivinicoles dans vos communications et étiquetages !
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