La délimitation de l’aire géographique de l’Appellation d’Origine Protégée « Pouilly Fuissé » à l’heure de l’adaptation au changement climatique - Avity - Cabinet d'avocats

Commentaire de l’arrêt Conseil d’Etat, 3ème ch.,  27 octobre 2022, n°448816 

 

Dans un arrêt rendu par sa 3ème chambre en date du 27 octobre 2022, le Conseil d’Etat revient sur le régime de la délimitation géographique de l’aire de production de l’Appellation d’Origine Protégée en insistant sur la nécessité de permettre l’adaptabilité des critères d’inclusion et d’exclusion au changement climatique 

Les faits de l’espèce se rapportaient plus particulièrement à l’attribution de la mention « premier cru » à certaines parcelles et à la délimitation de l’aire de production des vins susceptibles de bénéficier de cette mention au sein de l’AOP « Pouilly-Fuissé ».  

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a été saisi par la SCEV GAZEAU-MONTRASI d’une demande en annulation de l’arrêté du 5 novembre 2020 homologuant le cahier des charges de l’AOP « Pouilly-Fuissé », en tant qu’il définit une aire géographique de production excluant certaines parcelles de son exploitation.  

Le Conseil d’Etat appréciant la validité des critères d’inclusion et d’exclusion retenus dans le cahier des charges de l’AOP « Pouilly-Fuissé », était alors amené à se demander si la délimitation de l’aire de production des vins susceptibles de bénéficier de la mention « premier cru » était justifiée.  

L’Appellation d’Origine Protégée désigne un produit dont toutes les étapes de production sont réalisées selon un savoir-faire reconnu dans une même aire géographique, donnant ses caractéristiques au produit (1).

L’aire géographique de production est le support matériel de l’appellation. Devant cette évidence, on comprend que son processus de délimitation est une étape primordiale dans la mesure où il conduit à inclure ou à exclure certaines parcelles du périmètre ainsi délimité.  

Une modification du cahier des charges peut donc entraîner des conflits entre les producteurs de l’AOP, notamment pour les producteurs ayant déjà investi dans des équipements spécifiques ou qui ont adopté des pratiques de production qui ne sont plus conformes au nouveau cahier des charges. 

Dans ces conditions, Il est donc important que toute modification du cahier des charges soit examinée avec soin et évaluée en termes d’impact. Il apparait également primordial de garantir une égalité de traitement entre les opérateurs, propriétaires des parcelles. En ce sens, le délimitation de l’aire de production doit être encadrée. Cet encadrement passe notamment par la fixation de critères d’inclusion et d’exclusion objectifs et rationnels fondés sur des facteurs naturels et humains propres à l’appellation 

En prévision d’éventuelles modifications du méso-climat susceptibles de découler du changement climatique, le Conseil d’Etat rappelle qu’il incombe aux autorités compétentes de faire évoluer cette délimitation afin de permettre à l’appellation de s’adapter tout en préservant le lien de causalité entre le produit et son origine 

En ce sens, les critères d’inclusion et d’exclusion fondés sur des facteurs naturels et humains en constante évolution devront nécessairement être repensés 

L’appellation d’origine étant un signe à caractère géographique distinguant des produits dont la typicité est due à un terroir, les autorités compétentes devront toutefois veiller à la préservation du lien de causalité entre le produit et son origine dans l’accomplissement de cette tâche.  

En effet, dans la mesure ou la délimitation de l’aire géographique de l’appellation risque d’annihiler le lien entre le produit et son origine, une telle modification du cahier des charges implique de suivre la procédure afférente aux modifications au niveau de l’Union  

I. La délimitation de l’aire géographique de production par la fixation de critères objectifs et rationnels 

 

Le Conseil d’Etat relève que la délimitation de l’aire géographique de production des vins susceptibles de bénéficier de la mention « premier cru » revient à déterminer juridiquement et matériellement les parcelles aptes à transmettre à ces vins les qualités et caractéristiques attendues. 

Afin de garantir l’égalité de traitement entre les opérateurs, le Conseil d’État a tout d’abord rappelé la nécessité de se référer à des critères objectifs et rationnels dans la délimitation de l’aire géographique de production. Sur ce point, la Haute Juridiction, avait déjà apporté deux précisions essentielles concernant les critères à retenir pour la délimitation de l’aire géographique dans un arrêt du 24 novembre 2017.  

« L’autorité administrative est tenue, pour déterminer l’aire géographique de production, de se fonder à la fois sur des facteurs naturels et des facteurs humains façonnant la qualité ou les caractères propres du produit désigné par l’appellation d’origine ».  

En revanche, « elle est en droit, en procédant à cette délimitation, d’exclure de celle-ci toute parcelle comprise dans l’aire géographique ne satisfaisant pas aux exigences découlant des seuls facteurs naturels retenus pour la délimitation de l’aire géographique (2) ».  

Il en résulte que le Conseil d’Etat opère une distinction entre l’acte qui détermine une aire géographique et l’acte ultérieur qui exclut de celle-ci certaines parcelles. L’acte d’inclusion devant nécessairement se fonder sur les facteurs naturels et humains tandis que l’acte d’exclusion pouvant se limiter aux seuls facteurs naturels (3)

Cette position a été confirmée ultérieurement dans l’affaire AOC Pic Saint-Loup (4)

Partant, le Conseil d’Etat apprécie le caractère objectif et rationnel des critères de délimitation posés par le cahier des charges de l’AOP « Puilly-Fuissé » en s’assurant qu’ils se fondent bien sur des facteurs humains et naturels. 

En l’espèce, pour inclure certaines parcelles de l’aire de production de vins susceptibles de bénéficier de la mention « premier cru », le cahier des charges de l’AOP « Pouilly-Fuissé » retient dans un premier temps que « pour être classée en premier cru, une parcelle doit, notamment, se situer à une altitude maximale de 350 mètres, qui est portée à 400 mètres en cas d’exposition très favorable dans le quadrant sud de 150° (Sud/Sud-Est) à 210° (Sud/Sud-Ouest) et de pente supérieure à 15°. ». Autant de critères fondés sur un ensemble de facteurs naturels et humains de nature à transmettre aux vins produits les qualités et caractéristiques attendues d’un « premier cru ». 

 

 

 

 

 

Par ailleurs, pour exclure d’autres parcelles de cette aire de production, le cahier des charges retient dans un second temps que ne peuvent être classées en premier cru les parcelles qui « subissent un effet d’écran par la végétation environnante. » Cette décision d’exclusion étant notamment motivée par le manque d’ensoleillement des parcelles affectant la qualité de la vigne.  

II.  La prise en compte du changement climatique dans la délimitation de l’aire géographique de production  

 

Afin de permettre à au cahier des charges de l’AOP de s’adapter, le Conseil d’Etat considère que les autorités compétentes doivent prendre en compte les éventuelles évolutions du méso-climat du vignoble susceptibles de découler du changement climatique lors de la fixation des critères de délimitation de l’aire géographique de production.   

Le changement climatique menaçant l’équilibre des facteurs humains et naturels sur lesquels sont fondés les critères de délimitation de l’aire géographique de l’appellation, il apparait essentiel de permettre l’adaptabilité du cahier des charges à ce phénomène. 

C’est en ce sens que le conseil d’état relève que « qu’il ressort des pièces du dossier que, pour la détermination des critères d’inclusion […], le comité national […] n’a pas ignoré l’évolution du méso-climat du vignoble d’appellation  » Pouilly-Fuissé  » susceptible de découler du changement climatique ». 

Aussi, la modification du méso-climat susceptible de découler du changement climatique, conduisant à une augmentation de la température moyenne, des modifications de la pluviométrie et la variabilité croissante du climat, influence les facteurs naturels et humains et affecte les conditions de production des vins. 

Il en résulte que la notion de terroir, sur laquelle s’est bâti le concept de l’AOP, en ressort altérée, voir menacée dans certains cas.  

Le terroir est défini par l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) comme « un concept qui se réfère à un espace sur lequel se développe un savoir collectif des interactions entre un milieu physique et biologique identifiable et les pratiques vitivinicoles appliquées, qui confèrent des caractéristiques distinctives aux produits originaires de cet espace. » (5)

L’interaction entre ces deux facteurs naturels et humains donne sa typicité au produit à protéger. 

Or, dans le mesure où le changement climatique est susceptible de bouleverser de tels facteurs, le Conseil d’Etat invite les autorités compétentes à prendre en compte, dans la détermination des critères d’inclusion et d’exclusion de l’aire géographique de production, l’éventualité d’une modification du méso-climat du vignoble susceptible de découler du changement climatique afin de conserver le lien de causalité entre le produit et son terroir.  

Par ailleurs, cette solution ne devrait constituer qu’une simple éventualité parmi les nombreuses autres mesures à l’étude. En témoigne la position du Conseil d’Etat pour qui « la modification des aires géographiques n’étant mentionnée que comme une simple éventualité à long terme parmi les nombreuses mesures à l’étude en vue de faire face à ce phénomène. » 

Il en résulte que cet arrêt pourrait constituer le point de départ d’un mouvement jurisprudentiel visant à permettre la modification du cahier des charges de l’AOP sous couvert de la nécessité de s’adapter au changement climatique 

En effet, au-delà des risques que représente la modification des cahiers des charges, les producteurs d’AOP devront s’adapter aux conséquences du changement climatique, notamment en modifiant les pratiques agricoles pour répondre aux nouvelles conditions climatiques.  

Par exemple, certains vignobles ont dû changer et devront changer les cépages utilisés pour s’adapter à des conditions climatiques plus chaudes et plus sèches.  

En témoigne la modification à venir de la règlementation en matière d’encépagement dans le cadre de la PAC 2023-2027. En effet, si ces variétés hybrides sont pour l’instant interdites en droit des AOP, leur interdiction sur le territoire de l’Union européenne devrait être levée avec l’avènement de la future PAC en application du règlement (UE) n° 2021/2117 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021. Lequel texte prévoit qu’ « afin de permettre aux producteurs d’utiliser des variétés de vigne qui sont mieux adaptées à l’évolution des conditions climatiques et plus résistantes aux maladies, il convient de prévoir des dispositions autorisant l’utilisation des appellations d’origine pour des produits issus tant des variétés de vigne de l’espèce Vitis vinifera que des variétés de vigne issues d’un croisement entre ladite espèce et d’autres espèces du genre Vitis. » (6) 

Au-delà de la question de l’encépagement du vignoble, on peut imaginer que d’autres modification des cahiers des charges interviendront dans les années à venir 

En effet, il est essentiel que les producteurs d’AOP prennent en compte l’impact du changement climatique sur leurs productions et travaillent à trouver des solutions pour maintenir la qualité de leurs produits tout en s’adaptant aux nouvelles conditions climatiques. Fort heureusement, les leviers d’adaptation en la matière sont nombreux. 

Puisque la perspective d’une modification du méso-climat ébranle toutes nos certitudes et conduit à se questionner sur ce que l’on tient pour acquis, la notion de terroir sur laquelle se fonde l’AOP devra faire l’objet d’ajustements. Partant, afin de préserver le concept d’appellation tel que nous le connaissons et de permettre son adaptation au changement climatique, plusieurs solutions écartées dans le passé pourraient de nos jours être réenvisagées 

Dans ces conditions, sans doute assisterons-nous un jour à l’autorisation en AOP de solutions jusqu’ici interdites à l’image des bâches antigel ou de l’irrigation.  

Ainsi, force est de constater que les vins d’appellation ont encore de l’avenir.