Une société civile immobilière peut se voir désigner un mandataire ad hoc à la simple condition d’une mésentente entre ses associés circonstanciée et sans expliciter les éléments relatifs à la paralysie de la société et à son péril imminent.
Cour de cassation, 3ème Chambre Civile, 21 juin 2018, n°17-13.212
Des concubins vont fonder une SCI dans le but d’acquérir des locaux en vue de les louer. Monsieur sera nommé gérant de la société tandis que Madame est associée. Le concubinage va prendre fin en aout 2008. A la suite de cette séparation, le fonctionnement de la SCI va connaitre quelques difficultés dues à la mésentente du gérant de l’associé séparés.
L’article 1855 du Code civil dispose : « Les associés ont le droit d’obtenir, au moins une fois par an, communication des livres et des documents sociaux, et de poser par écrit des questions sur la gestion sociale auxquelles il devra être répondu par écrit dans le délai d’un mois ».
En qualité d’associée, Madame exerce ses droits et demande la tenue d’une assemblée générale ainsi que la communication des comptes sociaux. A sa grande surprise, le gérant va lui refuser toutes ses demandes.
Alors, l’associée va assigner la SCI devant le TGI de Bobigny qui rendra son jugement le 24 septembre 2015. Dans un 1er temps, elle demandera au TGI de prononcer son retrait de la société et de commettre un expert afin de calculer la valeur de ses droits.
Par la suite, elle renonce à ses 1ères prétentions et demande la désignation d’un mandataire ad hoc, conformément à l’article L.611-3 du Code de commerce. Le mandataire ad hoc est désigné pour une mission ponctuelle en lieu et place du dirigeant. En l’espèce, sa mission consisterait en la préparation de l’assemblée générale et réaliser un rapport sur les comptes de la société.
Le Tribunal de Bobigny va d’abord constater une mésentente entre les associés. Ensuite elle va faire droit à la demande de l’associée en désignant un mandataire ad hoc pour une durée de 6 mois avec pour mission de communiquer les livres et documents sociaux pour les exercices clos de 2004 à 2015 et d’établir un rapport sur les pertes et bénéfices, tout en approuvant les comptes et en se prononçant sur les résultats.
En conséquence, un appel sera interjeté devant la cour d’appel de Paris par la SCI qui rendra son jugement le 10 novembre 2016. Elle confirme le jugement de 1ère instance aux visas des articles 1844-1 du Code civil, ensemble 1855 et 1856.
La SCI n’en démord pas et se pourvoit en cassation. Selon elle, l’associée en question faisait preuve d’un défaut d’intérêt pour la société, rendant son droit d’agir inopérant. De plus, elle aurait failli à un engagement financier.
De jurisprudence constante aux fins de désigner d’un mandataire ad hoc deux conditions doivent être réunies. D’une part, l’existence de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et d’autre part, l’existence d’un péril imminent. La cour d’appel n’a pas constaté ces éléments et donc privé sa décision de base légale.
La Cour de cassation était donc amenée à répondre à la question de savoir si une mésentente entre associés justifie la désignation d’un mandataire ad hoc ?
La 3ème chambre civile, dans son arrêt du 21 juin 2018 répond que oui, une mésentente circonstanciée entre associés justifie la désignation d’un mandataire ad hoc. Celle-ci reprend les « motifs propres et adoptés » des juridictions précédentes.
La Cour de cassation estime que l’absence d’AG malgré la demande de Mme et l’absence d’accès aux documents comptables justifient la désignation d’un mandataire ad hoc. La cour d’appel n’était pas « tenue de procéder à une recherche inopérante relative aux circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et la menaçant d’un péril imminent. »
Ainsi, par cet arrêt, la Cour de cassation assouplit sa jurisprudence relative aux conditions de désignation d’un mandataire ad hoc.
La question se pose quant à la désignation d’un administrateur. A l’heure actuelle, la désignation d’un administrateur, décision plus lourde de conséquences, reste subordonnée aux conditions de la jurisprudence établie : paralysie de la société et péril imminent.
Le mandataire ad hoc n’exerce qu’une mission provisoire donc sa désignation n’emporte pas les mêmes conséquences. Une simple mésentente entre associés est suffisante pour la désignation d’un mandataire ad hoc et remplir les conditions de désignation.
Toutefois, la jurisprudence est mouvante il conviendra donc d’attendre la confirmation de la Chambre commerciale ou d’un 2nd arrêt sur le sujet afin d’acquérir une certitude pleine et entière.
Droit des sociétés – société civile immobilière – mésentente – droit de l’associé – Mandataire ad hoc – Code de commerce – Code civile